Vers une culture commune de la protection des mineurs

En septembre 2024, trois modules de formation interinstitutionnelle ont réuni au centre Bol Vert divers professionnels du parcours des enfants pour aborder un sujet aussi délicat qu’urgent : les conduites prostitutionnelles chez les mineurs.

Fruit d’une collaboration entre le département du Nord et l’État, cette initiative a offert aux participants l’occasion de partager leurs expériences et de bâtir une culture commune en matière de protection de l’enfance.

Un enjeu de formation pour dépasser les frontières institutionnelles

Avec la montée inquiétante des conduites prostitutionnelles chez les jeunes, l’Éducation Nationale et les institutions éducatives, les forces de l’ordre, les associations sociales et les services de santé sont en première ligne pour repérer, prévenir et accompagner.

«Pour nous, professionnels de l’aide à l’enfance, cette formation nous donne les outils pour mieux comprendre un phénomène souvent masqué, mais aussi pour échanger avec des partenaires incontournables » témoigne un éducateur participant.

Le programme, élaboré par le CREAI et l’AGSS de l’UDAF, a permis aux participants de comprendre non seulement les impacts psychologiques de ces conduites, mais aussi le rôle central des nouvelles technologies, qui exacerbent ce phénomène.

Des échanges interprofessionnels pour une réponse coordonnée

La formation, répartie sur plusieurs sessions, a été marquée par des mises en situation, des échanges et des discussions approfondies.

« Casser les silos, c’est devenu indispensable » confie un intervenant de l’ASE. « On a vu avec cette formation que coordonner nos approches, c’est vraiment la clé pour que notre réponse soit cohérente et efficace. »

L’opportunité de rencontrer des professionnels d’autres secteurs, de croiser les regards et d’entendre des points de vue variés a permis d’entrevoir les bases d’un réseau interprofessionnel.

Chacun repart avec une meilleure compréhension du cadre législatif, des stratégies d’accompagnement et surtout des interlocuteurs concrets pour poursuivre les échanges.

Vers un modèle de protection commune et continue

La formation organisée au Bol Vert pourrait bien marquer le début d’une dynamique interinstitutionnelle plus large, que les participants souhaitent voir perdurer. Au-delà des compétences acquises, beaucoup retiennent le lien humain et concret qui s’est construit au fil des échanges. « Mettre des visages sur des noms, comprendre les défis de chacun, ça change vraiment notre façon de travailler ensemble » observe un intervenant de l’Éducation nationale. « Nous avons été amenés à remettre en question nos pratiques en les confrontant à celles de nos partenaires. On prend conscience qu’il nous faut harmoniser nos actions, avec une base commune de connaissances et de procédures partagées. »

Cependant, une question demeure : comment organiser la suite de ces échanges ? La volonté de continuer est là, mais le cadre reste encore à définir.

Pour l’Association Traits d’Union, qui a participé et a accueilli cette formation, cette initiative représente un espoir. Celui où le parcours et l’accompagnement des mineurs est au centre des priorités. Celui où les partenaires tracent la voie d’un travail partagé, pour une protection continue et efficacedes jeunes les plus vulnérables.

Au-delà de cette formation, il apparait incontournable aujourd’hui, pour tous les acteurs sociaux et médico-sociaux
de penser le parcours des personnes accompagnées dans sa globalité, de centrer leur action sur les besoins de chaque personne, et de repenser l’ensemble des interventions comme un tout coordonné. C’est la clé pour offrir un
accompagnement plus cohérent et plus humain.

Les conduites prostitutionnelles chez les mineurs, une problématique complexe révélée par l’enquête de 2021

Un rapport remis au gouvernement en 2023 dresse un constat alarmant sur la prostitution des mineurs en France : entre 6 000 et 10 000 mineurs (portés plus vraisemblablement à 13 000 aujourd’hui) seraient victimes de prostitution en France, selon les estimations des associations spécialisées.

Une enquête avait été réalisée en 2021 par l’ODPE du Nord concernant 150 mineurs en situation de prostitution. Les données recueillies repèrent majoritairement des filles, souvent mineures. Les jeunes victimes présentent des parcours marqués par la violence, l’errance, et des vulnérabilités exacerbées.

La prostitution des mineurs, qui s’organise de plus en plus via les réseaux sociaux et Internet, échappe souvent aux radars institutionnels, rendant le repérage et l’accompagnement encore plus difficiles. La formation à ce niveau est à considérer comme outil de prévention à part entière.

Les données recueillies indiquent que les mineurs concernés, souvent suivis par l’Aide Sociale à l’Enfance, trouvent dans ces conduites un moyen d’obtenir une autonomie financière, mais aussi un certain contrôle et sentiment d’appartenance. Pour beaucoup, ces pratiques sont une réponse temporaire et illusoire à leurs souffrances passées,
qui renforce ainsi leur précarité et leur isolement.

L’enquête appelle à une stratégie coordonnée et à des formations spécifiques pour sensibiliser tous les professionnels et leur donner les outils pour agir en prévention, mais aussi pour intervenir de manière
réactive et adaptée face aux conduites prostitutionnelles des mineurs.

Eric Lorenz
Responsable communication marketing

Un maillage interinstitutionnel pour la protection des mineurs – entretien avec Khadija El Haouari

Son approche est à la croisée du terrain et des stratégies institutionnelles. À travers cet entretien, elle partage son expérience et son regard sur l’importance du travail de coopération entre les différents acteurs.

Dans le cadre de la formation interinstitutionnelle sur les conduites prostitutionnelles chez les mineurs, nous avons échangé avec Khadija El Haouari, chargée de mission pour l’Observatoire Départemental de la Protection de l’Enfance et de la Lutte contre les Violences Intrafamiliales (ODPE).

Khadija El Haouari, chargée de mission pour l’Observatoire
Départemental de la Protection de l’Enfance et de la Lutte contre les
Violences Intrafamiliales (ODPE).

Un parcours ancré dans le terrain

Khadija El Haouari a participé à de nombreux projets, de la lutte contre les violences conjugales aux conférences familiales, en passant par des formations interinstitutionnelles. Issue du terrain, avec une expérience d’infirmière puéricultrice, elle garde une approche concrète des besoins des professionnels.

« Mes missions sont variées, ce que j’aime avant tout, c’est construire des projets qui répondent aux réalités du terrain, tout en prenant en compte les retours des acteurs engagés au quotidien.»

Entretien avec Khadija El Haouari

Q :Quel était votre rôle relatif à la formation qui s’est déroulée au Bol Vert ?
Khadija El Haouari : Son approche est à la croisée du terrain et des stratégies institutionnelles. À travers cet entretien, elle partage son expérience et son regard sur l’importance du travail de coopération entre les différents acteurs.

Après l’enquête en 2021 de l’ODPE sur la prostitution des mineurs, il nous semblait important d’aller plus loin en proposant une formation dédiée. J’ai simplement contribué à organiser le projet avec l’État, en travaillant avec des associations comme Itinéraires avec son service Entr’Actes ou La Boussole, un dispositif de l’AGSS de l’UDAF.

Ce sont les associations qui nous ont apporté leur expertise précieuse. Nous avons aussi intégré des thématiques essentielles, comme le psycho-trauma, pour répondre au mieux aux besoins du terrain. L’objectif était vraiment de garantir une formation qualitative, notamment avec un groupe réduit de 16 participants, afin de privilégier les échanges et les discussions approfondies.

Q : Qu’apporte cette formation aux pratiques des professionnels ?
Khadija El Haouari : Cette formation n’est pas juste informative, elle remue profondément les croyances et les postures des

participants. Travailler avec des mineurs en situation de prostitution nécessite une approche différente. Par exemple, maintenir le lien de confiance avec ces jeunes est prioritaire, même si cela va à l’encontre des réflexes habituels de protection immédiate. Les retours montrent que les professionnels réalisent souvent qu’il y a
un décalage entre leurs pratiques actuelles et les réels besoins des mineurs. C’est un moment fort de remise en question pour eux.

Q : Quels sont, selon vous, les premiers bénéfices de cette initiative ?
Khadija El Haouari : Elles permettent de casser les silos. Quand des professionnels se rencontrent dans ce cadre, ils découvrent qui est vraiment à l’autre bout du fil, ses contraintes, ses leviers. Cela facilite les collaborations futures. Par exemple, dans cette formation, des participants de l’Éducation Nationale ont pu échanger avec des associations, des professionnels de santé ou de la gendarmerie. Cela change radicalement la façon de travailler ensemble.

Q : Quelles sont les perspectives pour ces initiatives ?
Khadija El Haouari : Nous travaillons déjà sur d’autres thématiques. En 2025, trois formations interinstitutionnelles sur les violences conjugales auront lieu, et une nouvelle formation sur les violences sexuelles envers les mineurs est en cours de construction. L’idée est de proposer une grille de lecture commune et de renforcer le maillage entre les acteurs pour une meilleure coordination sur le terrain.

Q : Quel message souhaiteriez-vous transmettre aux participants ?
Khadija El Haouari : Mon message est simple : nous leur donnons les clés, à eux de s’en saisir. Ces formations sont une base, mais les participants ont un rôle crucial dans la suite. Ils peuvent prolonger ces collaborations, créer des dynamiques nouvelles et s’approprier ces outils pour transformer leurs pratiques. La porte qu’ils ouvriront peut être différente de celle que nous imaginions, mais c’est cette appropriation qui fait toute la richesse de ces initiatives.

Ces formations sont une base, mais les participants ont un rôle crucial dans la suite. 

Avec cette démarche de formations interinstitutionnelles, le Département du Nord renforce le maillage d’un réseau essentiel à la cohérence des parcours et à la qualité de l’accompagnement. En stimulant les liens entre acteurs de terrain et en adaptant les pratiques aux réalités concrètes des publics accompagnés, il offre des réponses à leurs problématiques complexes, parfois trop méconnues.

Une démarche qui, selon Khadija El Haouari, ne fait que commencer et qui porte déjà des fruits en matière de protection de l’enfance.

L’Association Traits d’Union, par son engagement dans la protection des mineurs et dans l’accompagnement médico-social, est particulièrement attentive à cette initiative et à ses enjeux. Convaincue de l’importance d’une approche collaborative, elle reconnait pleinement cette dynamique interinstitutionnelle, pour la qualité de l’accompagnement.

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